- GÉNIE MILITAIRE
- GÉNIE MILITAIREÀ l’origine terme militaire, le mot génie a donné naissance aux expressions génie maritime, génie civil, génie rural et, plus récemment, génie chimique et même génie atomique. Ces dérivations obligent à parler désormais de génie militaire. Le génie militaire ne doit pas être limité à l’art de la fortification: il englobe d’une part tous les ouvrages ou aménagements du terrain sous forme d’obstacles réalisés en vue du combat, ainsi que les engins, machines et procédés qui permettent de les créer ou de les surmonter et, d’autre part, la réalisation et l’entretien de l’infrastructure nécessaire aux forces armées. L’expression désigne simultanément l’art d’employer ces matériels ou ouvrages et l’ensemble organisé de ces moyens en matériel et en personnel comme le corps d’officiers ou ingénieurs spécialisés.La fonction du génie militaire a progressivement évolué: composé à l’origine d’ingénieurs introduisant la science et la technique dans l’art de la bataille, et en particulier dans la fortification, il fut ensuite tout naturellement chargé également du logement des garnisons. Actuellement le génie a pour mission l’aménagement du terrain pour le combat, et le soutien des forces en matière d’infrastructure. Au cours de cette évolution, le génie, d’abord généralement confondu avec l’artillerie, a souvent été chargé d’exploiter les techniques nouvelles comme celles des premiers aéronefs (avant qu’on ne parle d’aviation) ou des transmissions (avant qu’elles ne constituent une arme autonome). C’est cette capacité d’adaptation et de création qui permet au génie de répondre à l’évolution des concepts d’emploi des forces, comme à celle des méthodes d’action et des techniques les plus diverses. Il comporte généralement une arme appuyant la manœuvre des forces, et un service chargé de l’infrastructure nécessaire aux armées.1. Rôle du génie militaireLes formations de l’arme du génie transforment au mieux le terrain pour faciliter les feux et les mouvements de diverses armes amies et pour gêner ceux des troupes ennemies; elles mènent ces travaux en fonction d’une idée de manœuvre exprimée par le chef interarmes, qui repose sur une combinaison des feux et des mouvements destinés à imposer sa volonté à l’ennemi.Les ouvrages du génie ne sont le plus souvent qu’un complément ou un aménagement de la configuration des lieux préexistants (escarpements, forêts, rivières et agglomérations); l’utilisation des frontières naturelles a ainsi toujours été recherchée plus ou moins consciemment dans le souci de restreindre le travail demandé au génie militaire. Les nations ont souvent été tentées de faire réaliser ces ouvrages dès le temps de paix par le génie (fortification permanente). En outre, de tout temps, le génie a dû être apte, d’une part, à créer des ouvrages de campagne dans les brefs délais octroyés par le rythme des combats et, d’autre part, à mettre en œuvre des moyens pour surmonter les obstacles posés par l’adversaire. Dans le cadre de ce rôle spécifique, les missions de combat traditionnelles de l’arme du génie sont les suivantes:– missions visant à favoriser les mouvements amis (assauts, ouverture d’itinéraires et franchissement des coupures dans la frange des contacts, rétablissement et maintien des communications dans la profondeur et sur les arrières);– missions visant à gêner les mouvements ennemis (destructions, obstructions, obstacles souvent à base de mines);– missions visant à se protéger des feux ennemis et à favoriser les feux amis (enfouissement, protection, fortification).De plus, dans divers pays, des missions dérivent indirectement de cette spécificité par extension de la mission de «communication». On peut citer: le génie de l’air , chargé de maintenir opérationnelles les pistes des forces aériennes; le génie amphibie , chargé de l’aménagement des sites de débarquement sur une côte en liaison avec la marine, mais au bénéfice surtout de l’armée de terre chargée de débarquer; le génie des chemins de fer , qui, en temps de guerre, dans la zone des armées, maintient et rétablit les voies ferrées susceptibles de ravitailler les armées; le génie de montagne , qui rétablit les communications en montagne, et plus particulièrement par l’installation rapide de téléphériques; le génie parachutiste , enfin, qui agit dans son environnement propre pour appuyer, avec ses moyens spécialisés, les forces engagées lors d’opérations aéromobiles. En temps de paix, les formations du génie, tout en se préparant à leurs missions de guerre, réalisent des travaux d’infrastructure sur les terrains militaires.Les formations du service du génie constituent le principal service constructeur des armées. Ses officiers sont à la fois conseillers techniques du commandement à tous les niveaux, concepteurs, maîtres d’œuvre et tiennent le rôle de «notaires du domaine militaire».2. Évolution historiqueUn corps de constructeurs militairesDe l’Antiquité romaine au Moyen Âge, les divers travaux occasionnés par les combats étaient réalisés par les combattants à pied. La nécessité de créer un corps spécialisé du génie est apparue aux XIIIe et XIVe siècles, en raison de la technicité des ouvrages de fortification exigée par la puissance des nouvelles armes utilisant la poudre à canon; mais cette création n’a été possible à ces mêmes époques que dans les pays où des armées nationales et permanentes ont pu être constituées.L’Angleterre a été la première nation disposant d’un génie, dès le XIIIe siècle; Guillaume Ier avait bien créé auparavant le titre de «Waldivius Ingeniator», ingénieur en chef du roi Guillaume, mais les responsabilités de celui-ci se limitaient à la construction, à la défense et à l’attaque des châteaux forts ; il n’était que conseiller du roi et les réalisateurs étaient en fait le plus souvent des clercs, des moines et des évêques, qui se révélaient alors beaucoup plus expérimentés en matière de construction en pierre que les laïcs. En 1260, pour la première fois, un moine anglais, nommé «Magister Ingeniator», eut sous ses ordres un bon nombre d’ingénieurs, chargés chacun d’un travail spécialisé, tel que l’utilisation des engins, la construction des châteaux forts ou la maintenance et la défense de ceux-ci. En 1282, Édouard Ier met à la disposition de son «ingénieur», pour sa campagne de pacification en Écosse, les premiers hommes de troupe dont les fonctions puissent directement s’apparenter à celles des sapeurs actuels.En Allemagne, la première structure du génie apparaît en 1642, en Prusse, lors de la création du premier régiment de pionniers, alors que le général V. Webrame occupait le poste d’architecte en chef des fortifications (Festungsbaumeister ), sous le règne de Frédéric II.En France, c’est sous le règne de Charles VII qu’apparaissent, vers 1445, les premières compagnies d’ordonnance chargées des places fortes et une ébauche d’organisation de l’Inspection des fortifications. C’est sous François Ier qu’est nommé pour la première fois un surintendant des fortifications, titre transformé en 1662 en «commissaire général des fortifications» et attribué à Vauban en 1677; le corps des ingénieurs du roi ne reçoit son statut qu’en 1690: ces ingénieurs étaient des conseillers. Lors des attaques ou des défenses, ils ne commandaient que des troupes appartenant à l’artillerie ou à l’infanterie. Ce n’est qu’en 1776 qu’est enfin créé le corps des officiers du génie: les ingénieurs accèdent à l’épée. Issus de l’École royale du génie de Mézières créée en 1748, et formés par des professeurs comme Monge, ils devaient donner à cette première école scientifique une renommée internationale, dans tous les domaines. On peut citer: Borda, Coulomb, Dejean, Lazare Carnot, Meusnier de La Place, Marescot, Bertrand, Rouget de Lisle, Cafarelli. Une mention particulière doit être faite pour du Portail, qui fut le créateur du génie américain. C’est à la qualité de ces ingénieurs de Mézières que le génie doit d’être l’«arme des engins nouveaux».Une arme plus mobileÀ la fin du XVIIIe et pendant le XIXe siècle, la plupart des États européens avaient un corps du génie, comportant de un à plusieurs bataillons (ou régiments), mais dont la fonction était plus ou moins orientée, soit vers la fortification, soit vers les travaux en campagne.Dans les pays disposant de colonies ou cherchant à s’implanter outre-mer, tels que la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, le génie a souvent alors été employé aux travaux de «pacification», consistant parfois en l’organisation de fortins ou ouvrages de défense sommaires, mais surtout en la création de réseaux, de pistes ou de routes, de lancement de ponts et parfois d’aménagements de voies ferrées ou d’installations portuaires.Tandis que sa vocation de constructeur conduisait ainsi peu à peu le génie à accomplir des travaux relativement pacifiques, la guerre revêtait des formes où les mouvements stratégiques prenaient une grande importance. Cette évolution justifiait la création de corps spéciaux pour améliorer les voies de communication, soit en menant des travaux utilisant des moyens dits de «circonstances», c’est-à-dire trouvés ou réquisitionnés sur place, soit en acheminant des matériels spécifiques tels que les ponts d’équipage. La mise en œuvre des matériels d’équipage, primitivement confiée aux pontonniers de l’artillerie (en France, par exemple, sous Napoléon), devait peu à peu être confiée au génie au même titre que tous les travaux de communication.La Révolution et l’Empire constituent, d’ailleurs, pour le génie français une période particulièrement brillante. Il devient une arme autonome en 1790; il se structure en bataillons en 1801, en régiments en 1814. Il sera présent à toutes les campagnes de ce début du XIXe siècle, participant à tous les sièges, défenses de places, franchissements de cours d’eau.Peu à peu, le génie devenait ainsi une arme très mobile, capable d’accomplir ses missions traditionnelles, avec des matériels transportés par des moyens d’abord hippomobiles, puis automobiles. Simultanément, les matériels du génie s’allégeaient et se simplifiaient: les équipages de ponts antérieurs à la guerre de 1914-1918 comprenaient souvent des centaines de pièces différentes alors que les ponts d’équipage de la Seconde Guerre mondiale réduisaient ce nombre à une dizaine (pont Bailey ou pont M-4). Parallèlement à cette simplification, des engins de travail motorisés permettaient une augmentation considérable du rendement des travaux: propulseurs remplaçant la navigation à la rame, bulldozers remplaçant pelles et pioches, compresseurs pour les menus travaux de sciage et de perforation, l’évolution étant parallèle à la motorisation des chantiers du génie civil.Un ensemble arme et serviceÀ l’issue de la Seconde Guerre mondiale, et afin de pouvoir répondre à des missions de plus en plus variées avec des moyens aussi complexes, le génie militaire fut organisé, dans divers pays, en trois branches indépendantes, mais groupées sous la même hiérarchie: le génie «travaux», chargé de concevoir et de conduire l’ensemble des travaux menés sur domaine militaire et en particulier au bénéfice des fortifications; le génie «arme», destiné, en temps de paix, à instruire et à préparer au combat les unités du génie mettant en œuvre les matériels et appelé, en temps de guerre, à assumer les missions d’aménagement du terrain avec ces mêmes matériels; le génie «matériel», qui organise et gère l’ensemble des matériels spéciaux (tracteurs niveleurs, engins de pontage, compresseurs).Dans la plupart des pays, une réorganisation rationnelle des armées tend désormais à ne plus donner au génie militaire la troisième fonction. L’administration des matériels du génie est désormais fondue dans une gestion unique des matériels de l’armée de terre (service du matériel pour l’armée française, Ordnance Corps pour l’armée britannique et pour celle des États-Unis) et, en général, le génie militaire n’a pas conservé cette attribution.La première fonction (gestion des travaux militaires et fortifications) a tendance, dans certains cas, à être séparée de la seconde (préparation au combat), malgré l’importance extrême qu’elle revêt pour la réalisation des moyens d’infrastructure nécessaires à la préparation au combat et au soutien des forces, sans compter la construction de sites protégés contre l’effet des armes nucléaires (postes de commandement, missiles). Les travaux militaires sont ainsi parfois liés à l’ensemble des travaux publics des États (en Grande-Bretagne, ils dépendent du Ministry of Public Buildings and Works) ou à d’autres services particuliers des armées (Bauamt en Allemagne fédérale, Castrametaction pour l’armée espagnole).En revanche, l’armée française, comme l’armée américaine, conserve sous la même hiérarchie, d’une part, l’arme du génie, d’autre part, le service du génie. Les formations de l’arme (régiments et compagnies) appartiennent pour la plupart organiquement aux grandes unités du corps de bataille (corps d’armée et division); les formations du service (directions régionales, directions de travaux et arrondissements) sont placées aux différents niveaux des commandements sur l’ensemble du territoire.Pour animer un ensemble tel que le génie français, des cadres compétents et des spécialistes sont nécessaires. Les officiers et les sous-officiers sont préparés à leur mission de l’arme à l’école d’application du génie d’Angers. Ceux d’entre eux qui sont appelés en direction de travaux sont instruits à l’école supérieure du génie militaire de Versailles, qui forme également les techniciens civils. Enfin, les spécialistes de l’arme sont formés dans le régiment d’instruction du génie.3. Les moyens de l’arme du génieLe caractère spécifique de l’arme du génie se concrétise actuellement, et pour un avenir prévisible, pour l’essentiel dans les fonctions de mise en œuvre des engins de combat capables d’organiser le terrain en temps de guerre.La conception de ces engins évolue chaque année, et chaque amélioration permet d’accroître notablement leur rendement, afin de réaliser des travaux en temps de guerre dans des délais de plus en plus brefs (se mesurant parfois en jours de travaux, mais plus souvent en heures ou en minutes, alors que les anciennes organisations de positions se réalisaient en un ou plusieurs mois) et sur des étendues de terrain de plus en plus vastes (le front des divisions ayant évolué de quelques kilomètres en 1918 jusqu’à vingt et trente kilomètres dans les études actuelles, sur des profondeurs de plus en plus grandes). Cette évolution des engins a pour première conséquence la diminution du nombre de sapeurs appelés à travailler manuellement: leur rendement résultait, en effet, de leur emploi en masse pendant de longs délais, mais ils n’ont plus leur place dans les zones de combat où le rythme des opérations les rendraient inefficaces et où ils seraient trop vulnérables en cas de conflit nucléaire; elle a pour deuxième conséquence une spécialisation de plus en plus poussée de chaque engin du génie militaire, spécialisation permettant de réaliser des ouvrages militaires types à haute cadence sans souci de polyvalence des matériels et, autant que possible, en faisant bénéficier les conducteurs d’engins d’une certaine protection par blindage; ainsi, les engins du génie militaire peuvent être appelés à se différencier des engins du génie civil, dont les spécifications tiennent beaucoup plus compte du rendement financier et admettent des vitesses de déplacement ou de travail correspondant à des chantiers dont la durée se chiffre en mois.Les engins mécanisés du génie militaire les plus récents correspondant à cette évolution sont très variés. En matière de création d’obstacles, les armées britannique, française et soviétique ont mis en service le distributeur ou l’enfouisseur automatique de mines, capable en général de réaliser de 4 à 5 kilomètres de champs de mines par jour en posant une trentaine de tonnes de mines. En matière de franchissement des cours d’eau, on utilise des engins amphibies de franchissement, dont le plus ancien est le matériel français Gillois (1956); son homologue de l’armée allemande est l’Alligator et celui de l’armée américaine le M.A.B. (Mobil Assault Bridge ). Sont apparus également des ponts flottants motorisés à mise en œuvre rapide, tels que le Ribbon Bridge américain, le P.M.P. (Pomtono Mostovoy Park , parc de pont-ponton) soviétique, et le P.F.M. (pont flottant motorisé) pour l’armée française.En matière de franchissement des courtes brèches, les poseurs de pont mécaniques ont de nombreuses versions dans les différents pays, la plupart de ces engins étant capables de lancer en quelques minutes une travure de pont, d’une longueur d’au moins 20 mètres, au-dessus d’une brèche. Parmi ces engins, les uns sont protégés par blindage et constitués par une adaptation à cette fonction du char de bataille en service: char M.60 poseur de pont pour les États-Unis, travure M.T.U. (Mostovkla Tankovaya Ustanovka , char lanceur de pont) sur char T.54 pour l’armée soviétique, char Léopard poseur de pont ou Biber pour l’armée allemande, Centurion poseur de pont pour l’armée britannique. Les autres sont des engins spécifiques et non blindés: pont automoteur d’accompagnement français, pont soviétique T.M.M. (Tjazelyi Mechanisirovannyi Most , travure mécanique lourde) mu par vérins et transporté sur camions.En matière de rétablissement des itinéraires, la plupart des pays ne disposent que de tracteurs niveleurs dérivés des chars de bataille ou sur châssis non blindés. Ces tracteurs sont complétés par divers engins de sciage (scies-tronçonneuses mécaniques), de levage (grues ou bigues) ou de traction (treuils). Un engin cumulant ces différentes fonctions a été réalisé sur châssis blindé par l’armée française (engin blindé du génie, ou E.B.G., sur châssis de l’A.M.X. 30).En matière de protection, des engins capables de réaliser le terrassement rapide d’ouvrages de protection pour les combattants et les matériels ont été construits par les armées française (excavateurs de tranchée Matenin) et soviétique (excavateurs sur châssis chenillé).
Encyclopédie Universelle. 2012.